Portrait de famille sous un ciel crevé

Portrait de famille sous un ciel crevé


Rien moins que le Déluge, et la montée inéxorable des eaux. Car même si elle nous fait traverser la nuit, cette histoire de famille baigne dans une lumière d’aube. Elle se déroule entre la nuit des temps et le début de l’humanité. Ce qui se joue dans chaque histoire, c’est l’histoire entière des hommes ; ce qui se joue dans chaque instant, c’est une métamorphose, un mouvement d’apparition-disparition, une chute et un envol. Voilà le cadre que l’auteur assigne à son théâtre et le défi qu’elle lance au plateau.

Extrait de Presse

Le fil conducteur du travail de Stéphanie Marchais ne vient pas de l'actualité mais plutôt des individus eux-mêmes, en prise avec l'immensité d'une vie souvent banale et qui les dépasse. Chacun de ses textes trouve son humeur, son rythme, son territoire et sa langue pour imposer une identité forte et singulière.
Ouest France.

Extrait

SCENE 1
L’inondation a gagné toute la pièce.

RAVI : Il est interdit de se moquer des pauvres gens qui rament ici.
Donna et Tom se cramponnent en l’air pour les mêmes raisons que moi, mais eux ne savent pas nager, ce qui constitue un handicap supplémentaire. Mon petit fils est redevenu sauvage et traque les rares mouches qui s’aventurent sur la vitre. Il croit qu’on ne le reconnaît pas sous sa crasse et sa tignasse, mais moi je l’ai reconnu et les plus perspicaces d’entre vous aussi, je suis sûr. Regardez comme il se gratte. C’est étonnant la dextérité nouvelle de sa jambe gauche. Plus rien de mangeable alors on mâche les bouts de tissus noirs que Donna attrape au vol, par la fente du toit. C’est infect. Un goût de veuve.

Je précise que si j’ai mis des lunettes noires, c’est parce que j’ai les yeux rouges. Sous mes airs de vieux con, je tiens à ma pudeur.

DONNA : On dira que c’est du pain noir.
TOM (avalant sa bouchée) : Pas terrible.
DONNA : Je n’ai que ça. Tu as froid ?
TOM (essayant de maîtriser ses tremblements):
Jusque là.
DONNA : On va tomber. Retiens-toi.
TOM : Peux pas. Plus confiance. A la météo ils disaient quarante jours. Ca fait quatre fois quarante jours qu’il pleut. Ils se trompent toujours. Pas fiables.
Le mois le jour tout ça, je suis perdu. Sais plus. Je ne contrôle plus. Quatre fois quarante jours ça fait combien ?… Ca fait plus.
Jusque là j’en ai. Jusque là. Adieu mes terres sucrées, je suis en deuil.
DONNA : Tonio, tu ne peux pas rester le ventre vide. Essaie.
Elle lui tend une boulette de tissu, manque de glisser et perd sa boulette qui tombe à l’eau.
Au dehors, bruits successifs de chutes de corps dans l’eau. Chacun frissonne.
Tonio essuie frénétiquement la fenêtre pour voir la fille en l’air.
TONIO : Elle n’y est plus !
DONNA (désignant les deux hommes qui somnolent): Moins fort. Je sais que Ravi fait semblant, mais moins fort.
TONIO : Eve a disparu maman ! Il faut que je sorte, que je plonge, que je la ramène sur terre!
DONNA (luttant contre l’engourdissement) : Mais non… Tu prends les choses trop à coeur, demain il fera jour, ou nuit… Le temps tu sais c’est indécis… Tu verras, mon enfant, tu verras bientôt clair… (elle s’endort).
TONIO : Grand-père ?
Bruit de l’eau qui s’écoule du toit.
RAVI : Vous sentez bien que c’est un temps – quoi qu’en dise Donna – un temps important